
Dans le champ de la communication interpersonnelle, la posture ne relève pas uniquement de la technique ou de la compétence oratoire. Elle est aussi et peut-être avant tout une manière d’être au monde, d’habiter l’espace relationnel, d’incarner un rôle sans s’y enfermer.
J’ai envie ici de proposer des textes qui seraient comme une exploration de ce que nous pourrions appeler les inattendus de la posture : des micro-événements non planifiés, imprévus, qui révèlent la qualité de présence d’un intervenant bien plus sûrement qu’un discours parfaitement rodé.
Une scène vécue, la chaise qui manque
Je suis arrivé dans la salle. Ils étaient déjà là. Douze. Assis. En cercle.
Et pas de chaise pour moi. Ce genre de détail qui ne devrait pas être grand-chose, n’est-ce pas ?
Et pourtant, dans ces moments-là, tout se joue à l’intérieur, très vite.
Il y a, pour moi, cette petite décharge dans le ventre. Ce micro-dialogue interne : Tu fais quoi ? Tu demandes ? Tu fais comme si ? Tu fais une blague ?
J’ai respiré. Inspiration. Expiration. Et j’ai dit : « Tiens… il manque une chaise. Comme souvent dans la vie : on vous demande de prendre la parole, mais on ne vous a pas laissé de place. »
Il y a eu des rires. Des regards se sont levés vers moi.
Je suis allé en chercher dans le couloir. Je l’ai glissée dans le cercle. Je me suis assis.
« Voilà. On y est. Ce sera notre point de départ : qu’est-ce qu’on fait, quand la place n’est pas prévue ? Est-ce qu’on ose la prendre ? »
Et c’était parti. Le groupe était avec moi. Disponible. En lien.
L’analyse, ce que révèle l’imprévu
La scène relatée ci-dessus illustre un phénomène bien documenté en psychologie de la communication : la capacité à ajuster sa posture en situation d’imprévu constitue un levier central d’authenticité perçue et de leadership relationnel.
Les travaux de Goffman (1959) sur la présentation de soi soulignent que l’individu en interaction sociale oscille entre performance maîtrisée et gestion de l’aléa. C’est précisément dans ces moments de « déséquilibre interactif » que se révèlent des ressources insoupçonnées : spontanéité, ancrage, conscience du contexte.
Ici, l’absence de chaise devient un catalyseur pour engager un rapport plus direct, plus humain, avec le groupe.
De même, la Gestalt-thérapie, en tant que courant expérientiel, insiste sur la valeur phénoménologique de ce qui émerge dans l’instant présent. Tout ce qui survient – y compris les interruptions, les absences, les inconforts – peut être intégré dans le champ de la conscience comme matière relationnelle.
Ce qui aurait pu être une gêne logistique devient un point d’entrée vers une parole située, incarnée, qui prend appui sur la réalité du moment.
Des recherches en leadership authentique (Walumbwa et al., 2008) mettent en évidence l’importance d’une posture congruente : lorsqu’un leader s’ajuste sans dramatiser, il favorise la confiance perçue et ouvre un espace de communication plus horizontal. Ce n’est donc pas tant le contrôle de la situation qui suscite l’adhésion, mais la manière d’en faire quelque chose, sans sur-jeu ni évitement.
Ainsi, l’« inattendu de la posture » n’est pas un accident à corriger, mais un révélateur de présence. Il donne à voir et à sentir la capacité d’un individu à faire corps avec la réalité, à improviser avec justesse, à instaurer du lien depuis ce qui est.
